Tiens, bonjour, c'est gentil de passer me voir... C'est vrai qu'on se sent un peu seul dans cette grande boîte vide, hein ? Vous entendez comme ça résonne ? Ohé, ohé...!!!
Hé, hé, ça me rappelle mon enfance. Avec des copains, on allait trainer dans un hangar abandonné derrière chez ma grand-mère, on hurlait dans le noir, c'était assourdissant et ça finissait par être vraiment flippant à force. A la fin, on se sauvait en courant (en abandonnant si possible le plus jeune d'entre nous, seul et terrifié dans le noir... aaahh jeunesse !!!).
Hé, non, non, ne partez pas, je sais, je radote, mais moi aussi j'ai peur seul dans le noir ! En plus, je suis malade, enfin, je me remet doucement, mais mon médecin a eu peur. Il ne me l'a pas dit (ces gens là ne se confient jamais, vous le savez bien), mais j'ai lu dans son regard qu'il était inquiet, et puis je l'embêtais aussi, avec mes symptômes bizarres qu'il ne comprenait pas. Il faut vous dire que c'est un spécialiste tout à fait compétent, et très cher aussi (ça va avec). C'est mon beau-frère, lui même médecin, qui me l'a conseillé, ils ont fait leurs études ensembles et il paraît que mon médecin était presque aussi brillant que mon beau-frère, c'est tout dire (dixit mon beau-frère). Dailleurs, je n'ai rien à lui reprocher, d'habitude il me soigne très bien, j'ai toujours survécu à ses prescriptions, sauf celles que j'ai omis de suivre, pour celles là évidemment je ne peux pas me prononcer (parfois, comme la liste des effets secondaires de certains remèdes excédait de plus d'une page celle des effets positifs attendus, j'ai préféré m'abstenir). De toute façon, en général, mon médecin ne paraît pas spécialement inquiet quand je vais le consulter, il m'interroge avec patience (parce que je m'embrouille facilement), m'examine avec doigté (je suis très chatouilleux) et me rassure avec un sourire et une ordonnance illisible. Ses honoraires sont exorbitants, mais tout à fait justifiés (selon mon beau-frère).
Mais, il y a quelques jours, quand je suis allé le voir, rien ne s'est passé comme d'habitude, il m'a fait répéter plusieurs fois le récit de mes misères (j'avais trop chaud, ça me grattait horriblement, surtout la tête et les doigts), m'a examiné plus longuement qu'à l'accoutumé (lui aussi se grattait la tête tout le temps) et ne m'a pas du tout souri à la fin. Il ne m'a pas tendu d'ordonnance, m'a conseillé de rentrer directement chez moi et de beaucoup me reposer, il m'a aussi dit qu'il allait téléphoner à ma femme pour la tenir au courant. Quand je suis arrivé à la maison, elle m'attendait, la mine sévère, et mes enfants étaient là aussi, très calmes. Moi, je n'était pas vraiment inquiet, juste un peu déstabilisé par ces évènements inhabituels. Mais là où j'ai vraiment commencé à paniquer, c'est le lendemain, quand ma fille a rangé sa chambre toute seule sans qu'on le lui demande et qu'elle s'est disputée avec son frère (dont les travaux scolaires étaient inexplicablement déjà finis) pour savoir qui pourrait disposer le premier de l'aspirateur. Au même moment, ma femme m'a annoncé qu'elle venait de changer l'ampoule de l'escalier de la cave que je devais remplacer depuis déjà deux semaines (je ne suis pas très bricoleur). Là, je crois que j'ai fait un petit malaise.
Quand je suis revenu à moi, ils étaient tous autour de moi, pleins de sollicitude, c'était très émouvant. Malheureusement, le docteur a appelé un moment plus tard (j'étais installé devant la télé avec un plateau repas - j'adore le poulet-frites, mais ma femme en fait rarement à cause du cholestérol, mais là elle n'a pas fait de difficultés- et j'avais pu choisir mon programme sans avoir à cacher la télécommande sous le canapé) pour nous annoncer qu'après avoir consulté moult ouvrages savants et distingués confrères, il avait enfin identifié la cause de mon état. Le diagnostic était certain, affirmait-il, et de plus parfaitement bénin : il s'agissait d'une "bloguite" tout simplement, une variante assez rare et spectaculaire de la maladie, contractée par la fréquentation trop assidue d'internautes trop passionnés. Le traitement était simple, pas de repos particulier, pas de régime strict, mais juste quelques heures par jour en compagnie d'une souris, devant un écran, afin de rédiger les textes nécessaires à l'élimination d'idées parasites et pruriantes qui s'étaient accumulées dans mon organisme. A la suite de quoi, il était tout à fait catégorique, le bouillonement cérébral et les gratouillis qui me gâchaient la vie depuis plusieurs jours disparaitraient comme par enchantement.
Ensuite, tout est allé très vite, ma femme m'a arraché mon plateau des mains (il restait pourtant quelques frites) pendant que ma fille zappait prestement sur "nouvelle star academy" et que mon fils disparaissait dans le jardin, une raquette de tennis à la main. Je me suis retrouvé quelques instants plus tard face à cet écran, ma femme m'a plaqué un baiser sur la joue et a quitté le bureau sur un "soigne toi bien, mon chéri" tout guilleret, et j'ai commencé mon traitement.
Grace à vous, ça commence à aller mieux, merci, mais ça gratte encore derrière l'oreille droite. Je vais quand même être obligé de vous laisser, le docteur a bien insisté, pas plus d'un message par jour, et encore, pas trop long. Mais il est formel, dans quelques jours, tout ira pour le mieux, dès que j'aurai libéré toutes ces idées qui me titillent le cortex et cherchent à sortir par mes dix doigts.
Par contre, peut-être devriez vous vous éloigner un peu de l'écran ; comme vous le constatez, c'est une affection plutôt contagieuse. Alors je ne vous embrasse pas, mais le coeur y est. Allez, à bientôt pour la suite de ma cure. Prenez bien soin de vous, et surtout n'hésitez pas à consulter au premier signe inquiétant.
Bien à vous .
Fred.